Heinz Egger raconte l’étage…

26 février 2017

Michael Guggenheimer et Heinz Egger, deux Messieurs élégants, tout droit venus de Zurich, ont pour passion la visite des lieux du Livre, en Suisse et à travers l’Europe. Il commentent, racontent et recensent leurs impressions sur leur site internet.
Et il y a quelques semaines, c’est la libraire l’étage qui a été “feedbackée” en allemand ! Un énorme merci à eux !

Et en voici la traduction française
(par Cyrielle Cordt-Moller)

 

VOUS NE RÊVEZ PAS…

Heinz Egger

« À l’étage supérieur de ce wagon… » annoncent les haut-parleurs du train au retour de notre excursion. Et je me remémore encore une fois cette visite passionnante à la librairie l’étage à Yverdon-les-Bains.

Une corbeille en osier, pleine de bouquins d’occasion, arrête le visiteur. « Soldes » annonce sa pancarte. Au mur, une enseigne jaune où une flèche en forme d’escalier indique l’entrée à droite; et le nom de la librairie se déploie au fil des marches : l’étage. Enclavée à la paroi, une vitrine au cadre jaune, surmontée du mot LIBRAIRIE en capital, et d’une flèche.

Avec autant d’indications, quelque chose doit effectivement se cacher là. Une fois passée l’entrée, on suit un long corridor bordé d’une vitrine de même taille. Les livres à l’intérieur semblent être là depuis longtemps. Est-ce la poussière, ou bien le papier peint décoloré qui irrite le regard ?

Une lumière venue d’en haut éclaire le fond du couloir. Un escalier étroit et raide nous mène au premier étage. Aux murs, les affiches culturelles ouvrent comme un chemin vers l’entrée éclairée de la librairie. Sur la porte, les mots : « Vous ne rêvez pas… ». Non ce n’est pas un rêve. Une fois poussée la porte, on pénètre dans un large espace. Le comptoir au fond fait presque la largeur de la pièce. Les poignées en métal de ses innombrables tiroirs resplendissent contre son ventre bleu. Qui n’aimerait pas servir derrière un tel comptoir ? Aujourd’hui la plupart des tiroirs sont vides. Dans certains, on trouve encore des livres gratuits et des prospectus. L’écriteau « Servez-vous » invite à y plonger la main.

À gauche et à droite du comptoir, des livres brochés que les élèves liront pour leur cours de français s’entassent dans les étagères. « Docteur Pascal » de Zola, « Caligula » de Camus, « L’école des femmes » de Molière, « Trois contes » de Flaubert – exactement les mêmes ouvrages que nous lisions dans ma jeunesse.

« Vous ne rêvez pas, vous lisez ». La maxime sur la porte du rez-de-chaussée me revient en tête. Et en effet, je me retrouve quelques minutes plus tard avec un livre dans les mains : « S’enfuir ». Le roman graphique raconte l’histoire vraie de Christophe André, enlevé en 1997 à Inguschetien. C’est le dessinateur Guy Delisle qui a conçu les dessins et le scénario. Des tons bleu, gris, brun, noir et blanc nous accompagnent au fil des pages.

À gauche juste après l’entrée se trouvent les romans graphiques. Un assortiment large. Sur ce point, les Romands sont mieux dotés que nous. Les bandes dessinées, abrégées « BD », ont une vraie place en librairie.

Dans la « Petite bédéthèque des savoirs », on trouve l’histoire de la prostitution de Laurent de Sutter, accompagnée des dessins d’Agnès Maupré. À côté, « Le Tatouage » raconté par Jérôme Pierrat avec les illustrations d’Alfred. La collection englobe les sujets les plus divers et se compose d’une quinzaine de volumes.

Juste après les « BD », un canapé  se prélasse dans sa housse orange. Sa couleur répond aux piliers et au cadre jaune de l’entrée. Le canapé est plutôt usé, mais cela ne me dérange pas. J’y reviens même plusieurs fois. Je découvre des livres merveilleux pour les enfants et les jeunes. L’un d’eux raconte les choses du monde. Entre textes et illustrations, il explique ce qu’on trouve sur terre, sous terre et dans les airs – et pas seulement le vivant, mais aussi d’un point de vue technique. Un livre magnifique qui invite à raconter tout en offrant à l’enfant la possibilité d’étancher sa soif de connaissances. Puis un autre livre au titre poétique : « La Mélodie des Tuyaux ». Sur l’image de couverture, une jeune fille et un garçon, guitare à la main, sont assis en haut d’un tuyau. Les illustrations de Benjamin Lacombe sont accompagnées d’un CD sur lequel Olivia Ruiz raconte l’histoire de la musique, ainsi que quatre chansons.

Et me voici qui tombe amoureux d’une rangée de livres pour tout petit. Au fil des pages cartonnées : une image, un mot, un son. Le livre avec six oiseaux dans leur environnement naturel me séduit tout particulièrement. Les dessins simples mais précis de Marion Billet. Et cette possibilité en touchant une certaine zone d’entendre le cri enregistré de l’oiseau : le merle siffle dans les branches, le pigeon roucoule sur le toit, la mésange chante dans le buisson. Cette librairie est un Eldorado pour les jeunes rats de bibliothèque. Ici on ne peut qu’apprendre à aimer les livres.

Avec effort, je m’arrache aux livres de la première pièce pour partir découvrir le reste de la librairie. Passé le cadre d’une porte, on débouche sur une espèce de véranda vitrée qui fait corps avec l’immeuble voisin. Une petite cuisine à gauche, et devant moi les livres de recettes. La lumière du jour pénètre ici. Mais elle n’atteint qu’à peine la grande pièce à droite. J’identifie un trou, autrefois occupé par une porte, un autre par une fenêtre. Cette deuxième pièce est à cheval entre deux immeubles, comme l’indique le revêtement au sol et la petite marche.

Dans cette pièce aussi il y a un canapé – beau et vieux celui-là. À côté, une petite table de nuit coiffée de marbre brun. Dessus deux livres épais, chacun dans un étui. L’un vient de la maison d’édition Taschen et traite de l’art moderne, l’autre de chez Citadelle- Mazenod et couvre le 19e siècle. Sur la table basse, devant le canapé, un ouvrage vert à la jaquette découpée. Derrière les formes estampées brillent des lettres dorées sur fond noir. Son titre : Livres animés. Gaëlle Pelachaud a ajouté comme sous-titre : « entre papier et écran ». L’histoire et les techniques du livre « en mouvement ». Des œuvres qui se ne se laissent donc pas juste feuilletées, mais remuent quelque chose au passage. Par exemple un disque qu’on tourne ou bien une forme tridimensionnelle qui se déplie à l’ouverture de la page. Gaëlle Pelachaud y présente des créations singulières, accompagnées d’images. Ainsi que les perspectives qu’ouvrent de tels ouvrages.

Avec ces trois livres d’art en mains, on ne verrait pas passer l’après-midi. Et c’est sans compter tous les autres qui se trouvent dans cette pièce !

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