Michael Guggenheimer raconte de l’étage…

24 février 2017

Michael Guggenheimer et Heinz Egger, deux Messieurs élégants, tout droit venus de Zurich, ont pour passion la visite des lieux du Livre, en Suisse et à travers l’Europe. Il commentent, racontent et recensent leurs impressions sur leur site internet.
Et il y a quelques semaines, c’est la libraire l’étage qui a été « feedbackée » en allemand ! Un énorme merci à eux !

Et en voici la traduction française
(par Cyrielle Cordt-Moller)

 

SUITE DE LA VISITE

Michael Guggenheimer

« Librairie l’étage ». La librairie au premier étage. Ainsi se nomme-t-elle. Des livres à l’étage, rue du Lac, à Yverdon-les-Bains. On peut habiter depuis longtemps Yverdon sans l’avoir remarquée. Bien sûr, la librairie Payot siégeant sur la Place Pestalozzi, c’est ses larges vitrines qui sautent d’abord aux yeux. Et Payot est plus grande. En cela, la Librairie l’étage est tout à fait particulière : un lieu spécial avec une ambiance spéciale.

Sur la façade du bâtiment, une enseigne quelque peu modeste attire l’attention et indique qu’une librairie occupe les lieux. À gauche de l’entrée, une vitrine expose les nouveautés littéraires. Alors que le troisième tome de la série d’Elena Ferrantes n’est pas encore paru en allemand, le livre est déjà traduit en français. Sur la porte de l’immeuble, une affiche avec l’inscription « Vous ne rêvez pas. Vous lisez ». On longe un étroit corridor, le long d’une vitrine illuminée pleine de livres, puis vient un escalier entortillé qui mène directement au premier étage – et non aux appartements de l’immeuble. On passe à côté d’un meuble couvert de prospectus, on ouvre une porte et on se retrouve dans un lieu magique, où tout est aménagé affectueusement et de façon un peu improvisée. Voilà donc à quoi ressemblaient les librairies autrefois. Des tables chargées de livres, où l’on est bien-sûr invité à farfouiller. Et cette possibilité, pour le visiteur, de trouver ce qu’il ne cherchait pas.

Fait inhabituel pour la Suisse : la pièce n’est pas rénovée. Inhabituel et sympathique, dans un pays où l’on a fréquemment l’impression que tout est sur-rénové. Ou bien serait-ce une différence entre la Suisse allemande et la Romandie ?

Voici donc la librairie l’étage et ses deux pièces. Un premier espace rectangulaire où se trouve le comptoir, et derrière un petit bureau. À droite, un passage surmonté de l’inscription « Suite de la visite », laquelle n’est pas sans rappeler l’écriteau d’un musée. Le visiteur attentif remarquera que la seconde pièce appartient à l’immeuble voisin. Les maisons en vieille ville sont trapues et étroites.

Dans la première pièce, les albums enfants et les romans jeunesse côtoient un grand choix de romans graphiques et de bandes dessinées – abrégées ici « BD ». Un peu plus loin, des guides de voyages, des ouvrages pratiques d’écologie et des livres de randonnée. Les deux étagères perpendiculaires au comptoir, tels des casiers, rassemblent les commandes. À chaque fois, sous le dernier livre d’une pile d’un même exemplaire, un bout de papier blanc, écrit à la main, indique le nom du professeur qui a réservé, ainsi que le titre et le nom de l’auteur. Madame Schertenleib du Gymnase a commandé « Un juif tout à fait ordinaire » de Charles Lewinsky. Tous ces livres ne trouveront pourtant pas preneur. Madame Vogel a choisi pour sa classe « Le Liseur » de Bernhard Schlink. Ici aussi tous les exemplaires n’ont pas été vendus. Et à côté encore, pour les classes d’allemand, des classiques contemporains : Franz Kafka, Heinrich Böll, Max Frisch, Dürrenmatt. Une chance pour la responsable de la librairie, Céline Besson, que les professeurs du Gymnase commandent ici. Les jeunes découvrent ainsi cette librairie un peu cachée. Et cela permet de faire tourner la boutique. Les étudiants qui pénètrent dans la librairie se dirigent tout droit vers le comptoir, annoncent le titre du livre et de leur professeur, payent et s’en vont. « C’est après être venu plusieurs fois qu’ils commencent à regarder autour d’eux », confie l’une des trois libraires, qui s’étonne d’ailleurs qu’on puisse sortir d’une librairie aussi rapidement.

Il serait en effet dommage de rater la deuxième pièce, sous l’écriteau « Suite de la visite ». Une pièce carrée, au plafond bas, et qui fait corps avec le bâtiment voisin. Des poutres et des murs fatigués. Une très vieille maison. C’est un lieu confortable, avec un canapé et un vieux fauteuil, des tables rectangulaires de différentes tailles, une table de nuit au centre, toutes chargées de livres. Le long des murs, des étagères, certaines en bois sombre, d’autres en métal. Ici aucune patte de designer. Seules les réflexions pratiques ont joué un rôle dans l’agencement, de même que le souhait de mettre l’argent dans la littérature. C’est pourquoi le mobilier est un peu hétéroclite. Les étagères sont là pour porter des livres, pas pour être belles. Sous une alcôve s’entassent des tabourets – prêts pour le prochain événement. Ici les Belles Lettres ont autant leur place que la politique, l’histoire et l’art. Ce sont des choix riches, très personnels, très littéraires et engagés socialement que font les [quatre] libraires Sylviane Balka, Cyrielle Cordt-Moller [Nathalie Wyss – spécialiste jeunesse] et Céline Besson. Toutes les traductions françaises des livres de l’auteure turque persécutée, Asli Erdogan, sont mises en avant. On se sent proche d’elle. Des lectures ont été organisées où la situation des journalistes et des artistes en Turquie était discutée.

La librairie l’étage propose également à ses clients un abonnement-lecture, appelé « abonnement découverte » : pour 150 CHF, sur une année, douze livres de poche, un pour chaque mois. Pourquoi conclure à un tel abonnement ? « Par curiosité ou envie de nouveauté. Pour découvrir des auteurs qu’on n’a encore jamais lus. Ou comme cadeau à quelqu’un qu’on aime. » Le visiteur remarque à chaque instant des cœurs rouges en papier, ou une note avec le nom d’une des libraires, sur les livres qu’elles recommandent. Il y a tellement d’ouvrages dans cette pièce qu’on met les livres de réserve sous les tables. « Arrêter de lire augmente les risques d’ennui mortel », clame une affiche contre la fenêtre de la cour. Sylviane Balka, qui est actuellement en train de déballer les nouveaux livres et de les ranger, est ici depuis 15 ans. Et Cyrielle Cordt-Moller, diplômée du bachelor en écriture littéraire de l’Institut littéraire suisse de Bienne, a écrit un roman qui dort encore dans le tiroir de son bureau. Qui sait, un jour peut-être, sa collègue mettra ce roman avec les nouveautés sur la table. Et le vernissage du livre, très certainement, aura lieu à l’étage.

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